HANNAH ARENDT : DU MENSONGE EN POLITIQUE ET VÉRITÉ ET POLITIQUE

PRÉSENTATION DES ŒUVRES

CONTEXTE

« FAIRE CROIRE » DANS LES ŒUVRES Part du double conflit entre vérité et politique : -écart entre les modalités d'énonciation de la vérité et les modalités d'existence du politique -les mensonges sont des "outils nécessaires et légitimes" (Du mensonge en politique), ce qui caractérise la difficile compatibilité

CONCLUSION ET RÉSUMÉ

SITUATION DES TEXTES PAR RAPPORT AU RESTE DE L’OEUVRE

UNE PENSÉE ORIGINALE, ENTRE PHILOSOPHIE, HISTOIRE ET POLITIQUE

THÈMES DES ŒUVRES

Contexte historique et intellectuel

Penser en marge de la tradition philosophique

Contexte philosophique

Tradition philosophique occidentale. Bien qu’elle écrive en anglais, c’est bien dans la philosophie allemande que s’inscrit sa pensee, notamment la phénoménologie(Husserl et Heidegger)

Contexte politique : les tragédies du XXe siècle

2nde Guerre mondiale et montée des totalitarismes (concept développé par Hannah Arendt)

S’engage dans l’étude de la condition humaine et de l’époque moderne/contemporaine

Elle distingue trois activités : le travail, l’œuvre et l’action. C'est la vita activa

Contexte scientifique

Interroge la manière dont les avancées scientifiques modifient les conditions du savoir humain mais aussi le rapport de l’homme à la technique et la nature

Critique de la tradition de la philosophie politique

Refuse le titre de philosophe, bien qu’elle accepte que son parcours et héritage soit celui d’une philosophe

Intérêt à la phénoménologie qui la pousse à s’intéresser aux expériences passées, notamment politiques (« pêcheur de perles»)

Reproche aux philosophes de négliger la pluralité humaine et ainsi être incapable de penser la politique

Deux grandes figures pour elle : Socrate dont la maïeutique est pour elle éminemment politique permettant aux interlocuteurs d’améliorer leurs opinions et d’en extraire une vérité, et Kant par sa définition de la liberté, sa distinction entre « penser » et « connaître » ainsi que sa théorie du jugement

Se demande même si le terme de philosophie politique n’est pas une contradiction : tension entre l’homme, doué de pensées, et l’homme, être d’action

A cause de Platon, il y a eu une séparation entre philosophie et politique et donc une rupture entre la pensée (« vivre dans la solitude ») et l’action (« vivre ensemble »)

La politique est considérée comme un moyen et non une fin : relève de la nécessité et non de la liberté comme le pense Arendt

Le problème c’est que la philosophie a étudié l’être humain et non pas les etres humains, car la philosophie vient de l’étonnement, qui est solitaire : on a ensuite étendu cette singularité pour tout le mode de vie philosophique

Pour Arendt, c’est une illusion : l’homme est d’emblée dans la pluralité. Illusion qui a des conséquences :
-on écarte la pluralité de la pensée philosophique
-« vie contemplative » privilégiée à la « vie active »
-réduit le processus historique à un processus cohérent voire nécessaire en considérebnt l’histoire de l’humanité à la manière de l’histoire d’un individu

« Verité et Politique » : un essai suscité par la polémique autour d’ »Eichmann à Jérusalem »

« Du mensonge en politique » : une analyse des documents du Pentagone

Développe le concept de « banalité du mal » qui fit polémique : le mal ne réside pas dans l’extraordinaire mais dans les petites choses, une quotidienneté à commettre les crimes les plus graves

La rédaction de l’essai est portée sur la question de savoir « s’il est toujours légitime de dire la vérité » (VP) en parallèle du constat de « l’étonnante quantité de mensonges utilisée dans la ‘polémique’ »

Documents relatifs à la guerre du Vietnam et la politique menée, soldée par un échec. Le NYT rend public ces documents qui suscitent une vive réaction de défiance et révèlent le gaspillage et l’ecart entre les infos des docs et celles présentées par le gouvernement

Hannah Arendt met en lumière les enseignements que nous pouvons tirer de ces documents

Réintroduire la pluralité dans la pensée : interpréter « l’expérience philosophique avec des catégories qui doivent leur origine au domaine des affaires humaines »(HA)

La dimension expérimentale de la pensée

Penser l’évènement

Les concepts que nous usons ont été coupés des expériences qui se trouvaient à leur source (notamment à cause de la rupture du « fil de la tradition » par les évènements du XXeme)

Il faut donc prêter attention aux événements, en reconnaissant leur caractère imprévisible. Il ne faut pas réduire le processus historique à un processus logique, réduire ce qui relève de l’action à ce qui relève de la fabrication qui elle présente une fin prévisible. Les éléments se cristallisent en évènements, sans que le lien entre eux puisse être pensé comme lien de cause à effet

si l’expérience de l’étonnement est coupée de la pluralité, il n’en va pas de meme avec l’activité de pensée

Penser = dialogue avec soi-même. C’est le « deux en un » de Socrate, soit la pluralité intrinsèque à la pensée

Il ne faut plus opposer l’être humain au singulier (philosophie) de l’être humain au pluriel (la politique) —> articuler la pluralité propre à la rencontre avec les autres et la pluralité qui advient dans la solitude

Pensée arendtienne marquée par l’héritage socratique, qui consiste à concevoir la pensée comme un dialogue. Réside moins dans ses résultats que son cheminement.

Les textes d’Arendt sont ainsi des expériences, des expérimentations : ce sont des essais, désignant à la fois le texte argumentation et la tentative

Préface de La Crise de la culture : les textes sont des « exercices » dont le « seul but est d’acquérir de l’expérience en : comment penser »

Traite de la question de la vérité et d'un de ses contraires, le mensonge, d'un point de vue politique et non purement théorique

La politique n'est pas liée à la vérité comme elle l'est au mensonge : Vérité et Politique "et" fait office de juxtaposition indécise, potentiellement antagonique

Par contraste, Du mensonge en politique : il est présent dans la sphère politique

Tension qui survient de leurs natures respectives : politique qui repose sur la pluralité, sur le fait que les humains sont plusieurs et différents, nous sommes confrontés à la diversité des opinions. La pensée y est discursive et représentative, à l’inverse de la pensée caractéristique de la vérité

Question du mensonge : faire croire délibérément à quelque chose de faux

Analyse théorique dans Vérité et politique

Réflexion à partir d'un fait historique dans Du mensonge en politique

Elle interroge le mensonge en tant qu'outil politique. Il est alors circonscrit à la vérité de fait. Elle reprend la distinction entre vérité de raison et vérité de fait ("politique par nature", VP)

Elle ne prend pas un point de vue moraliste : "ne contiennent pas de prescription quant à ce qu'il faut penser ou aux vérités qu'il convient d’affirmer" (CC) Double question : "Est-il de l'essence même de la vérité d'être impuissante et de l'essence même du pouvoir d'être trompeur ?" (VP)

les faits et les évènements constituent "la texture même du domaine politique" (VP)

LA PLACE DU MENSONGE EN POLITIQUE

VÉRITÉ ET POLITIQUE

Vérité rationnelle et vérité de fait

L'une repose sur le raisonnement : vérité mathématique, scientifique ou philosophique dans l'ordre de solidité. Exemple : "La somme des angles d'un triangle est égale à deux angles droits"

L'autre concerne ce qui advient dans le monde et qui aurait pu être autrement : porte sur le passé et est encore plus fragile. Exemple : "en 1914 l'Allemagne a envahi la Belgique"

Le conflit entre vérité et politique

Opposition entre deux modes d'existence, le philosophe et le citoyen. Tension entre ce qui relève de la vérité et les "opinions toujours changeantes du citoyen" (VP)

Vérité vs Opinion : théorie, pensée vs action, politique Par nature différentes : l'une s'impose, elle est coercitive ("au-delà de l'accord du consentement"(VP)), l'autre fait question de débats. "Quand on la considère d'un point de vue de la politique, la vérité a un caractère despotique"

Le politique doit viser l'impartialité, cad "discerner parmi le plus grand nombre d'opinions"

La singularité des vérités de fait et la tendance à faire croire

Contingence et fragilité

La contingence comme condition de possibilité du "faire croire" trompeur

Deux modalités spécifiques du mensonge (outre le mensonge le plus flagrant, consistant à énoncer sciemment quelque chose de faux)

Encore plus fragiles que les vérités de raison du fait de leur lien plus substantiel à la politique et aussi leur contingence (de cette contingence résulte une marge de manoeuvre, la praxis ou action et la poiesis ou production)

Les vérités ne peuvent pas être déduites, les faits "n'ont aucune raison décisive d’être ce qu'ils sont"(VP). Donc la raison peut avoir tendance à subordonner les faits à des raisonnements

Mais c'est illusoire: la liberté humaine consiste à se tenir en dehors de l'enchainement déterminé des causes et des effets, à introduire de la nouveauté dans le monde

Différents types de vérités => différents types de contraire Les deux premières vérités rationnelles s'opposent à "l'erreur" et à l'"ignorance", la troisième à l'"illusion ou l'opinion" Aux vérités de fait on peut aussi opposer le mensonge.

Mensonge = "négation délibérée de la réalité" (MP) : consiste à faire croire délibérément quelque chose qui n'est pas, ou est autrement

Repose sur la contingence des faits : elle est condition de possibilité de la "falsification délibérée"

Vulnérabilité des vérités de faits permettant une facilité relative du mensonge : souvent plus vraisemblable que la vérité elle-même. La tromperie "n'entre jamais en conflit avec la raison", le mensonge peut même paraitre plus logique dans la mesure où l'élément de surprise en est absent. Il est alors "plus tentant pour la raison"

Faire croire que la vérité serait de l'ordre de l'opinion : la vérité de fait peut se trouver contredite par des opinions, dans la mesure où elle a elle-même été dégradée au rang d'une opinion. Confusion qui se double de la disparition de la diff entre histoire et opinion

Faire d'une vérité de fait un "secret", la mise sous silence des vérités de fait. Modalité qui trouve une expression extrême dans les régimes totalitaires (VP).

Le mensonge comme action : faire croire délibérément ce qui n'est pas

Justification du mensonge en politique

Sauvegarder un régime politique qui par ailleurs permet la mise en place de conditions propices à la recherche et l'expression de la vérité (VP)

Moins dommageable que la violence pure. Un des "instruments relativement inoffensifs dans l'arsenal de l'action politique

Le mensonge comme témoignage d'une liberté dénaturée

Le mensonge comme action

Condition de possibilité : la liberté humaine

Trouve sa source dans l'imagination, qui désigne la capacité à se détacher de la réalité. Parce qu'il est libre, il peut prendre une distance à ce qui est en fait, et est ainsi capable d'introduire de la nouveauté dans le monde et le transformer. Témoignage éminent de "la liberté par rapport aux faits" (Journal de pensée)

Liberté "mésutilisée et dénaturée" (VP)

Signifie toujours agir : vouloir exercer une influence et:ou défendre un intérêt --> relève de l'action au sein du monde où les hommes cohabitent

le menteur "dit ce qui n'est pas parce qu'il veut que les choses soient différentes de ce qu'elles sont - cad qu'il veut changer le monde" (VP)

A l'inverse de la vérité dont la "simple narration des faits" n'est pas une action, acceptation de ce qui est : puissance du mensonge. "La vérité n'est pas une arme", si elle le devient, ce n'est plus la vérité

Existe des situations où dire la vérité devient une action sans la travestir : -l'enseignement par l'exemple comme la mort de Socrate -dans le mensonge organisé, la bonne foi devient action : "où tout le monde ment sur tout ce qui est important, le diseur de vérité, qu'il le sache ou non , a commencé à agir" (VP)

Les manifestations du faire croire en politique

Deux modalités récentes du mensonge

Relations publiques qui fonctionnent comme de la publicité, selon les méthodes de Madison Avenue

Mensonge incarné par les "spécialistes de la résolution des problèmes" (MP) : ils traitent des faits comme s'ils s'agissaient de propositions déductibles au sein d'un système logique; Or la réalité ne peut être intégrée à des modèles, elle est imprévisible

Ce sont eux qui ont rédigé le rapport McNamara : Arentd souligne "l'effort impartial d'examen personnel critique

Un mensonge à destination "interne" (docs du Pentagone, rendus publics en 1971)

Dans le cas du Vietnam, le mensonge est destiné à la politique intérieure, il adressait notamment au Congrès

Créer "des images fabriquées pour la consommation domestique" (VP)

Ajustement constant à la variété des publics, variation des objectifs avancés (MP), qui n'est pas forcément pertinent

Un phénomène nouveau : la formation de l'image comme objectif politique

Il s'agit de préserver la réputation des USA plus que de vaincre. "La défaite paraissait bcp moins redoutable que la reconnaissance de la défaite" (MP)

Mensonge d'autant plus tentant que son but ultime était relatif à la réputation :

Réalité et imaginaire : hiatus du à cette attachement à la réputation

Problème : inconscience des "risques réels" pour sa "sauver la face" (MP)

Ecart entre la qualité des informations fournies et la communication adressée au public, notamment le Congrès : CIA indé du gouvernement => "n'ont pas cessé de dire la vérité d'une année sur l'autre"

"Invention d'une réalité" : ne déforme pas simplement une partie de la réalité

Guidé par "la volonté d'imposer une certaine image"

Risque : création d'un monde de substitution (VP). Heureusement, la possibilité de faire croire à une autre réalité impliquerait "un monopole du pouvoir sur la totalité du monde civilisé", peu envisageable

Le problème du "secret" et de l'ignorance

PP : souligne le danger de "l'usage exagéré du secret lors de la classification des documents" (MP) (classification confidentielle) --> empêche les citoyens de se forger une opinion éclairée

Responsables qui ignorent les vérités de fait et les documents. Vérités qui auraient pu contredire la politique qu'ils souhaitaient alors mettre en place

Mensonge qui se double d'une ignorance de la vérité

"La manipulation de masse" (VP) ou mensonge organisé

Tient secret ce qui ne relève pas a priori du secret +par la fabrication d'images, il offre un "substitut complet" de la réalité

Pas un "trou dans le tissu des faits" mais un "complet réarrengement de toute texture factuelle"

Implique souvent l'autotromperie

Risque de la perte totale des vérités de fait

Volonté de destruction totale de la vérité (régime totalitaire =! USA)

Les conditions de possibilité du mensonge : "Comment ont-ils pu?" (MP)

Perte de la distinction entre vérité et mensonge : mensonge bâti sur la confusion, qui s'accompagne d'un 'se faire croire'

Le poids des idéologies (="la logique d'une idée", appliquer une idée à l'histoire)

Transposition de la réalité sous la forme d'un modèle

"autosuggestion interne" (MP) : histoire du guetteur

D'autant plus dangereux selon Arendt, car danger de dissolution de la vérité, évaporation de la frontière entre le vrai et le faux

Idéologie anticommuniste => théorie des dominos ou de conspiration communiste qui sont fausses (démenties par la CIA) mais prises comme base de la politique au Vietnam

Confusion entre réalité et probabilité : postulats tenues pour vrais alors qu'ils ne sont que possibles, car il s'accorde avec la théorie

MP : "ils n'avaient nul besoin de faits ou d'informations : ils avaient une 'théorie' et toutes les donées qui ne concordaient pas avec elle étaient rejetées ou délibérément ignorées"

Autosuggestion a fonctionné à l'envers, ils ont commencé par s’illusionner eux-mêmes. Les "spécialistes de la solution des problèmes" ont voulu calquer un modèle de rationalisme aux vérités de fait pourtant imprévisibles et contingentes

Croyance en une forme de rationalité appliquée à un domaine qui n'est pas le sien --> devient irrationelle

Méthode (application de modèles logiques au déroulé des évènements) pouvant s'appliquer au passé : les faits apparaissent comme déterminés mais c'est une "illusion existentielle" car les évènements ne sont jamais le fruit d'une nécessité

VÉRITÉ ET INFORMATION

Résistance de la vérité contre la manipulation : un sens plus haut du politique

Le caractère insubstituable de la vérité et les limites du mensonge

Des institutions garde-fous comme remède à la crédulité et condition de liberté

La force propre de la vérité

Nécessité de la vérité pour la vie politique

Les limites du mensonge

Les vérités constituent la base à partir de laquelle se diversifient les opinions. Distinction entre les faits et les opinions (jugement, interprétation de ces faits)

Elle se trouverait privée de son essence sans les vérités de fait

Son obstination qui lui confère "une grande résistance à la torsion" (VP) et qui tient au lien entre réalité et vérité

Puissance du mensonge plus fragile que le vrai "dont la force provient du réel et de sa permanence : la réalité est une, n'a pas d'équivalent (MP)

le mensonge ne peut jamais se substituer à la réalité. Le mensonge ne peut pas "recouvrir la texture entière du réel" (MP)

Pas forcément optimisme => volonté de destruction

Liberté d'expression, accès à une information fiables = freins à la manipulation

Il faut donc que le pouvoir politique lui-même la nécessité des lieux où la vérité est le critère, des "refuges de la vérité : universités, pouvoir judiciaire, presse libre et de confiance

Arendt a été surprise par la liberté de parole et de presse : témoigne de la résistance au mensonge dont est capable un pays libre

Le pouvoir doit : ne pas lier la contingence des faits sans pour autant que cette contingence porte à croire qu'on puisse les nier ou les manipuler. Dans ces limites, il peut représenter une sphère de liberté éminente (VP)

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LE MENSONGE S'OPPOSE À LA VÉRITÉ DE FAIT, VÉRITÉ QUI CONCERNE CE QU'IL EST ADVENU DANS LE MONDE EN VERTU DE LA CAPACITÉ D'ACTION ET DE LA LIBERTÉ HUMAINE

CONDITION DE POSSIBILITÉ DU MENSONGE : LA CONTINGENCE

REND FRAGILE LES VÉRITÉS DE FAIT : MENACÉES DE FALSIFICATION OU DE DISPARITION

MENSONGE ACQUIERT DE NOUVELLE FORME AVEC L'EPOQUE MODERNE (MENSONGE ORGANISÉ, MANIPULATION DE MASSE)

POUR PRÉSERVER LES VÉRITÉS DE FAIT, IL CONVIENT DE GARANTIR LA POSSIBILITÉ POUR LA FACULTÉ DE JUGER DE S'EXERCER GRÂCE À UNE INFORMATION FIABLE ET DES INSTITUTIONS CONSACRÉES À PRÉSERVER LA VÉRITÉ

TENSION ENTRE LA VÉRITÉ ET LE POLITIQUE, ET DONC UNE TENDANCE AU MENSONGE EN POLITIQUE