La dent d'or de Fontenelle Explication linéaire n°15

Histoire des oracles 1687

Chapitre 4 : Que les histoires surprenantes qu'on débite sur les oracles doivent être fort suspectes

L'auteur = Bernard Le Bouyer de Fontenelle

mouvement littéraire ; précurseur des Lumières

genre littéraire = apologue, argumentation indirecte

1° mouvement = la thèse

Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause.

Impératif présent 1ère pers du plu = associe le lecteur , mais aussi un ton dogmatique

Opposition entre le « fait » et la « cause »

Phrase courte et simple, sorte de proverbe

Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point

"cette" : déterminant démonstratif : reprise de la phrase précédente

champ lexical de la durée

adverbe "naturellement" = d’instinct, ne réfléchissent pas

métaphore « courent à la cause » = gens se précipitent

Connotation péjorative de « ridicule » suite du raisonnement concessif (il est vrai que ….mais)

emploi du futur de certitude « nous éviterons ».

la négation sur laquelle s’achève la phrase « de ce qui n’est point » montre l’absurdité possible à laquelle peut aboutir une démarche contraire : trouver la cause de ce qui n’existe pas !

2° mouvement = l'apologue, l'anecdote au service de la thèse

Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici.

Antithèse : « ce malheur » « plaisamment »

Utilisation du pronom personnel « je » = implication personnelle de l’auteur

Incipit de conte avec captatio benevolentiae dans la prop sub CC de conséquence

On retrouve le principe du « placere » et « docere » du XVIIe siècle « plaire et instruire ».

« En 1593, le bruit courut que, les dents étant tombées à un enfant de Silésie âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents.

CC de temps : pour situer l’action
Cplmt du Nom « Silésie » : précision géographique

informations sur l’enfant : âgé de 7 ans

donner une impression de vérité
passé simple + indices spatio-temporels = récit.

Modalisation : «le bruit courut » avec personnification / le bruit = rumeur, donc connotations du mensonge
= montre que le narrateur prend ses distances

Horstius, professeur en médecine dans l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent,

CClieu + CCtemps : volonté que le lecteur puisse vérifier les faits, comme il était demandé dans le début du texte

à noter d’ailleurs que c’est vrai : Jacob Horst (dit Horstius 1537-1600) médecin et prof à l’université de Helmstatt a relaté cette « affaire » dans un ouvrage philosophique ⚠

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Horstius présenté comme une figure d’autorité : professeur + médecine + université = gage de sérieux

Tous les savants ont un nom composé avec un suffixe en -us, qui fait gage de sérieux car latin. L'accumulation des noms latins participe à la tonalité satirique du texte. L'habitude de latiniser son nom vient du moyen-âge, à l'époque où les livres savants étaient rédigés en latin. Mais au XVII° siècle, cette pratique était désuète et on se souvient que Molière s'en moquait déjà dans ses personnages de médecins (Le Médecin malgré lui, Le Malade imaginaire). Ici, tous les noms sont latinisés : Horstius, Rullandus, Ingolsteterus, Libavius. Cette accumulation est évidemment destinée à amuser le lecteur.

et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs !

« prétendit » : modalisation qui montre que le narrateur ne partage pas son point de vue

Antithèse : naturelle et miraculeuse = raisonnement complètement absurde ; fait de Horatius un savant qui n’arrive pas à trancher entre deux explications, et pire encore qui penche du coté de l’irrationnel et de la superstition

CC de But : sous-entend une volonté divine qui prend parti = superstition
Consoler = vocabulaire religieux et non pas scientifique

Allusion aux guerres ottomanes en Europe /// Aucun rapport logique entre les deux événements

On trouve déjà chez Fontenelle cette satire de l'exploitation religieuse de la superstition populaire par les théologiens que l'on retrouvera fréquemment au XVIII° siècle, notamment chez Voltaire (on pense par exemple au chapitre de Candide sur le tremblement de terre de Lisbonne où il raconte de façon ironique que les habitants de Lisbonne pour se prévenir d’un nouveau tremblement de terre ont décidé de pendre Candide ! )

Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs !

Impératif présent 2° pers. du pluriel : Interpellation directe aux lecteurs pour souligner l'absurdité de cette conclusion.
But : séduire le lecteur et en faire un complice.

Phrase exclamative avec deux déterminants exclamatifs pour montrer l’absurdité du raisonnement.

En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit l'histoire.

Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique

Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier.

Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or.

Quand un orfèvre l'eut examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent, avec beaucoup d'adresse : mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre. »

polyptote (répétition d’un même mot sous des formes grammaticales différentes) « « historiens », « histoire » pour que le lecteur s’interroge sur le statut de ces personnes


polysémie du mot historien : celui qui raconte l’histoire, mais aussi les petites histoires, les anecdotes

CCBut : Rullandus ne cherche pas à étudier la véracité des faits, il se contente d’écrire les faits cf. brièveté de l’apodose (fin de la phrase) pour mettre en valeur la simple transcription

la dent fait naître d’autres théories avec le 2ème savant Rullandus (nom latinisé)

Prop sub relative déterminative : les faits sont oubliés au profit du texte qui a été écrit

Contre le sentiment : le mot n’est pas scientifique et renvoie à des impressions subjectives = remise en cause du 2° savant

Rythme binaire de la phrase avec la conjonction de coordination « et » qui met en évidence la dispute entre les deux savants.

Adverbe « aussitôt » : CCtemps qui montre la rapidité, voire une forme de mécanisme de la réponse.

Le mot réplique peut être associé à l’univers théâtral = satire des profs

3ème savant, toujours avec un suffixe latin en -us
Le regard posé sur la dent est purement subjectif ; d’ailleurs le troisième savant ne semble avoir pour sources que les écrits du deuxième savant.

4ème savant toujours avec un suffixe latin
Libavius = savant chimiste de la fin du XVI°, auteur d’un ouvrage nommé Alchimie

Verbe ramasser : très péjoratif, uniquement une idée de collecte à ras de terre, aucun travail scientifique

Fontenelle retarde la chute du texte avec une protase à la forme négative.

Tant : adverbe de quantité qui rappelle ironiquement le nombre de gloses déjà produites

Ouvrages : qualifiés uniquement de beau = pas scientifiques


Sinon que : montre qu’une chose est exceptée de la portée de la négation : à savoir la vérité.

Prop cc temps qui introduit la révélation de la supercherie = incohérence chronologique.

Examinée : participe passé à connotation scientifique (l’un des premiers du texte)

Avec beaucoup d’adresse : cc de manière qui pourrait sembler excuser la méprise

conjonction de coordination mais qui entraîne un basculement
Commença suivi de l’adverbe puis qui met en valeur une temporalité avec une logique inversée


Pronom indéfini « on » = généralisation

Polysémie du mot « consulter » : demander une expertise, mais aussi consulter les oracles !

3° mouvement = conclusion et leçon de morale

Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières.

Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison.

Cela veut dire que non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux.

Retour au présent de l’indicatif : sorte de présent à valeur de vérité générale

Modalité négative, phrase qui ressemble à une maxime (formule énonçant une rège morale) : pronom indéfini « rien » + présent de vérité générale.

Pronom personnel 1° pers. du sg : intervention du narrateur

négations assez nombreuses : négation grammaticale et lexicale

déterminant possessif - utilisation de la 1° pers. du plu : l’auteur s’inclut dans la réflexion ainsi que le lecteur

//isme de construction avec les raisons des choses

Vocabulaire scientifique : convaincre, raison

//isme de construction avec deux propositions subordonnées relatives déterminatives

Utilisation du présent à valeur de vérité générale

Utilisation de la 1° pers. du sg. F. se met dans la situation du lecteur et lui aussi a tendance à croire trop vite les choses

Pronom démonstratif : « cela » qui résume la démonstration

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Thèse annoncée dès la 1° phrase « assurons nous bien du fait avant de nous inquiéter de la cause » : avant de tirer des conclusion, vérifions la réalité - la démarche de l’auteur est quête de vérité

Problématique

« Chapitre 4. Que les histoires surprenantes qu'on débite sur les oracles doivent être fort suspectes », Histoire des Oracles, 1687.

Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point. Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici.
« En 1593, le bruit courut que, les dents étant tombées à un enfant de Silésie âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs ! Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs! En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eut examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent, avec beaucoup d'adresse : mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre. »
Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux.

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philosophe et poète français

1657 - 1757

neveu de l'auteur tragique Corneille

a pris le parti des Modernes

élu à l'Académie française en 1691 puis à l'académie des sciences en 1697. Audience considérable. Lecteurs mondains.

inspiré d'un traité en latin d'un auteur hollandais Van Dale qui avait écrit en latin deux dissertations

s'attache à discréditer les oracles, les miracles et à semer le doute à propos du surnaturel.

L'apologue propose des personnages et des situations symboliques, représentatifs de la morale que l'auteur veut en dégager.

Parcours : Rire et savoir

Fontenelle se moque des universitaires, tout comme Rabelais dans Gargantua

Allusion à la première règle de la méthode (Descartes) "éviter, toute prévention et précipitation."

L'action se situe en Allemagne = dépaysement pour éviter les critiques

Moyen le plus efficace pour établir une complicité avec lecteur, c'est l'ironie qui permet de condamner les faux savants

oeuvre qui vise les anciens païens qui attribuaient leurs oracles aux dieux, mais aussi les chrétiens

d'ailleurs le Jésuite Baltus écrira que cette oeuvre constitue « le détestable venin, le funeste poison de l’impiété »

comme dans les Fables de la Fontaine, l'apologue est constitué d'un récit et d'une morale*

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En quoi cet apologue est-il un plaidoyer au service du savoir vrai ?

"Un grand obstacle au bonheur, c'est de s'attendre à un trop grand bonheur" Citation de Fontenelle

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Mme Thouvenin

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