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Texte 6 - La construction des risques liés aux pratiques sportives de…
Texte 6 - La construction des risques liés aux pratiques sportives de montagne.
Ouvres collectives
Auteurs
Véronique Reynier : Psychologue - Maitre de conférence STAPS à Grenoble, psychologue social, spécialisée sur l’étude des sports de montagne.
Eric Boutroy : Anthropologue - Maitre de conférence en Anthropologie, Univ-Lyon STAPS – Sport de montagne.
Brice Lefèvre : Sociologue - Maitre de Conférence en sociologie, Université de Lyon, sociologue du sport. Doctorant de STAPS.
Frédérique Roux : Juriste - Professeur des universités, UFR STAPS de RENNES, Droit du sport, politiques publiques etc.
Bastien Soulé : Sociologue - Professeur de sociologie à l’université de Lyon, spécialisé dans la sociologie du sport. Directeur adjoint du Centre de Recherche et d'Innovation sur le Sport (CRIS).
Vincent Boudières : Géographe - Docteur en géographie – spécialisé dans risques de montagne - travail à la Métropole de Grenoble en tant que responsable de mission.
Thème
La production des données relatives aux accidents de montagne occasionnés lors de pratiques sportives estivales.
Thèse
Il n’existe pas d’accidentologie des sports de montagnes, car un ensemble de conditions sociales la rend impossible.
Méthodologie
Enquête collective et interdisciplinaire
25 entretiens semi-directifs de 90 mins environ auprès des représentants des principales institutions actives en matière de prévention ou de secours en montagne sur le territoire français.
Objectif : Construire un échantillon exhaustif des acteurs produisant des données sur les accidents et les risques sportifs dans les massifs montagneux français pour pouvoir dresser un panorama des connaissances disponibles, de leur mode de constitution, de leur diffusion et de leurs usages préventifs.
Analyses documentaires : base de données sur les accidents, bilans des interventions de secours, décision de justice lors des contentieux, forum en ligne etc.
Introduction
Les sports de montagnes sont parmi les pratiques sportives les plus mortelles en France, par exemple dans un département tel que la Haute Savoie, on meurt d’avantage en montagne que sur la route.
CF : Étude de l’Institut national de veille sanitaire sur les décès liés aux pratiques sportives.
5 activités particulièrement accidentogènes : le ski de randonnée, l’alpinisme, le canyonisme, la randonnée pédestre et le VTT.
Étant donné la prépondérance des sports de montagne dans la mortalité sportive, on serait en droit de considérer que des procédures d’études, de collectes et de sensibilisation existent pour comprendre comment surviennent ces accidents et comment en limiter le nombre.
Pourtant il apparaît qu’en France, les connaissances relatives à l’accidentologie en montagne est lacunaire.
Alors même que de nombreux organismes produisent des données chaque année.
Les auteurs, dans le cadre d’une recherche interdisciplinaire, ont voulu faire un état de lieux des connaissances produites sur ces accidents en France en 3 écartant les sports d’hivers pratiqués en station qui ont déjà été l’objet de nombreuses recherches.
Les auteurs ici ne veulent pas s’intéresser aux accidents en eux mêmes.
Ils veulent plutôt étudier la manière dont les institutions qui dénombrent ces accidents produisent leurs données et comment elles les diffusent.
Le but est justement de comprendre pourquoi est-ce que aujourd’hui, il est fort problématique d’avoir une vue d’ensemble concernant les accidents des sports de montagnes alors qu’une politique de prévention des risques serait plus que souhaitable si on en croit le nombre important de décès chaque année.
Point de sociologie :
En sociologie, on considère qu’un risque n’existe pas en soi. Il est avant tout une construction sociale défini par des pratiques et stratégies des différentes catégories d’acteurs impliquées.
Attention ; cela ne veut pas dire que les risques n’existent pas et qu’ils n’ont pas de conséquences réelles ; simplement, un élément devient un danger à la suite d’un processus social qui amène des acteurs intéressés à le considérer comme « dangereux » et à le médiatiser auprès de l’opinion publique comme tel.
Autrement dit, il n’y a pas de lien évident entre la gravité d’un problème et sa reconnaissance sociale. Des problèmes marginaux peuvent apparaître comme très grave et des problèmes quotidiens comme banales. (Exemple 241 morts à cause du terrorisme en France entre 2015 et 2018 contre plus de 15.000 morts à cause d’accident de la route chaque année en France).
Donc les auteurs veulent comprendre justement pourquoi est-ce que les pratiques sportives de montagne, qui sont parmi les pratiques sportives les plus dangereuses, ne sont pas socialement reconnues comme des activités dangereuses.
I - un contexte social peu propice
Quatre raisons compliquent la constitution d’un véritable savoir scientifique sur les accidents de montage :
Des schémas explicatifs types empêchant le développement d’une culture accidentologie
Un réseau de parties prenantes particulièrement fragmenté
Une question méthodologique délicate
Enjeux de légitimité, corporatistes et touristiques.
A) Un schéma explicatif individuel.
Pourtant cette vision passe sous silence tout un ensemble de facteur de risque empêchant de cerner la complexité de la production des accidents.
Souvent on pense que les accidents sont occasionnés par des personnes ou inconscientes, ou inexpérimentées.
Cela sert de « prêt à penser ».
Pourtant si il y a bien des erreurs imputables aux inds eux-mêmes, les auteurs montrent que la grande majorité des pratiquants qui ont été accidentés à la suite d’une pratique sportive de montagne étaient des personnes responsables et conscientes des dangers inhérentes à leur pratique.
Lorsqu’il est question d’accident dans le secteur des loisirs sportifs, il est difficile de se décentrer du pratiquant et d’expliquer les erreurs autrement que par des causes individuelles.
Par exemple, les statistiques de l’Association Nationale pour l’Étude de la Neige et des Avalanches (ANENA) tendent à montrer que les personnes accidentés en avalanche sont loin d’être en majorité des pratiquants manquant d’expérience ou d’attitude à évaluer les risques.
De même, la majorité des personnes secourues en 1998 par le PGHM (peloton de gendarmerie de haute montagne) de Chamonix était originaire de la région de Rhône-Alpes, avec une prédominance claire de gens de la Haute-Savoie, coutumiers de l’environnement montagnard.
D’autres études montrent qu’un nombre conséquent d’accidents se produisent à l’occasion de sortie encadrée par un professionnel ou un instructeur fédéral.
Il faut traiter le processus qui conduit un accident, chercher une conjonction de facteurs et pas seulement une cause unique.
Donc il faut rechercher autre chose que la seule responsabilité individuelle et reconstruit plus « une séquence accidentelle » dans laquelle on prend aussi bien en compte les actions individuelles, que l’ensemble des facteurs extérieurs qui occasionnent un accident.
Exemple
Faire du ski hors piste est une pratique dangereuse car elle peut déclencher des avalanches.
Si c’est bien le skieur qui déclenche une avalanche dans son passage, il n’est pas le seul responsable de cette avalanche.
Pour qu’il y ait avalanche, il faut un ensemble de conditions climatiques et météorologiques qui donne à la couche neigeuse une densité singulière qui pourra s’effriter au passage d’un skieur.
B) Un réseau fragmenté.
De nombreux acteurs produisent des données liées aux accidents de sports de montagne
Les secouristes publics : Sapeurs-pompiers, gendarmes, CRS
Les structures de prises en charge médicale des victimes : Centres hospitaliers, services d’urgence
Syndicats de professionnels : SNGM (syndicat national des guide de montagne)
Des associations d’expert sur des thématiques particulière : L’ANEMA (avalanche), l’IFREMMONT (conséquences médicales)
Fédérations sportives (il y en a une chié) : FFCAM, FFME, FFRP, FFS…
Un observatoire interministériel : SNOSM (système national d’observation de la sécurité en montagne).
Cette dispersion rend particulièrement longue et ardue la prise de connaissance des données disponibles.
Cependant, leur mission, finalité et utilisation des donnée, et culture professionnelle divergent.
Ils mettent des moyens pour connaître l’accidentologie des domaines qui les intéressent et ne veulent pas les donner gratuitement à d’autres structures concurrentes qui pourraient en profiter.
Une multitude de base de donnée coexistent, mais elles demeurent partielles, locales, indépendantes, peu accessibles, car souvent confidentielles.
Autrement dit, chaque organisme réalise un travail précieux de collecte de donnée sur des domaines très précis qui pourraient, 6 rassemblées, se compléter et donner à voir une image d’ensemble de l’accidentologie des sports de montagne.
Parce qu’il y a une concurrence entre organismes et des enjeux de pouvoir dans la capacité d’expertise.
En fonction de la nature singulière de sa mission, chaque partie dispose d’une vision propre du phénomène, une parcelle de connaissance dans la vaste vérité.
De nombreux organismes génèrent donc de l’information sur les accidents de sport de montagne.
Cependant, chaque organisme réalise son travail pour soi sans en faire bénéficier les autres.
Pourquoi ces différents organismes ne partagent pas leurs données ?
C) Une question méthodologique délicate.
Les données, en plus d’être collectés dans des objectifs divergents, sont obtenues par des outils et modalités de recueil différents.
La procédure de recueil n’est pas standardisée et donc les données sont incompatibles les unes avec les autres.
De plus, Il est difficile techniquement de définir « la population mère » (l’ensemble des accidentés) et donc de savoir si les échantillons choisis sont représentatifs : tout le monde n’est pas secouru en montagne par les secouristes officiels (on se débrouille seul, on est pas retrouvé etc).
Donc les chiffres donnés par les secouristes ne permettent pas de saisir l’ensemble des accidentés.
De plus, l’enjeu majeur d’une collecte de donnée des accidents pour des acteurs de la montagnes n’est pas permettre une analyse scientifique des accidents.
Pour les CRS et pompier, il s’agit de rationnaliser et d’organiser le fonctionnement des services : personnels disponibles, litres de kérosène pour l’hélico, les budgets etc.
Les fédérations par exemple, font des enquêtes très précises… pour leurs assurances.
Donc les données créées sont imprécises et peu fiables, car produites par des non professionnels de la statistique et selon des logiques non scientifiques.
D) Des enjeux divers qui faussent les résultats.
Pour les secouristes : enjeux corporatistes
Enjeu financier
il s’agit de faire « du chiffre » en comptabilisant un maximum d’interventions pour faire augmenter artificiellement les besoins pour recevoir plus de financement.
Les auteurs nous disent qu’il arrive régulièrement que les organismes de secours s’approprient, dans leurs comptes rendus, des secours qu’ils n’avaient pas à faire mais sur lesquels ils sont quand même intervenus. Il y a donc des doublons sur des interventions qui sont décomptés deux fois.
Enjeu de prestige
être le service qui sauve « le plus de personne en montagne ».
Pour les fédérations : enjeux touristiques
Il ne faut pas faire peur aux touristes car, si au regard des chiffres d’accidents ou de mortalité, ils en viennent à penser que la montagne est dangereuse, ils ne vont plus venir.
L’accidentologie des sports de montagne achoppe sur des questions financières qui sont reprises au niveau politique.
D’un coté, les secouristes vont avoir tendance à faire gonfler les chiffres, alors que les fédérations vont vouloir les diminuer.
Car l’état dispose également d’un outil de collecte des données d’accident de montagne : Le Système National d'Observation de la Sécurité en Montagne (SNOSM) dépendant du ministère de la jeunesse et des sports.
Le dénombrement des accidents liés aux sports ne montagne constituent des enjeux pour les organismes.
Cependant, ce dernier ne publie pas l’entièreté de ses résultats sous pression de l’association nationale des maires de la montagne qui fait pression pour que les chiffres soient tenus confidentiels.
Conclusion
Dans le cas de l’accidentalité des sports de montagne, il apparaît que les différents acteurs et institutions intéressées par le sujet vont être en conflit dans l’entreprise de définition des dangers et des politiques de préventions à mettre en œuvre.
Ces organisations se basent sur des connaissances partielles (liées à leur domaine d’intervention) et sur des intérêts concernant ces accidents.
Ainsi on peut bien comprendre que la représentation de la réalité est socialement filtrée/construite.
Selon l’état des relations entre les acteurs intéressés à la production de cette représentation, ce que l’on va nommée de « réalité », va changer.
Quel que soit le degré d’objectivité revendiqué, le risque est une construction sociale qui dépend des représentations et des intérêts à défendre des acteurs.
Quels enseignements tirer de cet article concernant l’utilisation de données chiffrées ?
Donc les chiffres ne parlent pas d’eux mêmes : quand on utilise des chiffres en sciences sociales, il faut toujours regarder qui est le producteur et quel peut être son intérêt à produire ces chiffres.
Les données chiffrées, qui peuvent paraître objectives, sont toujours produites dans des situations sociales qui ne sont pas neutres.
Et quand on réunit différentes sources de données, il faut faire très attention car, comme on a pu le voir au travers de cet article, on ne peut pas additionner tout et n’importe quoi.