Rousseau ne saurait nous convaincre totalement de l'inadaptation des fables au monde de l'enfance et aux différents bienfaits pédagogiques qu'on peut en tirer. L'excellence des vers, facile à mémoriser, est trop vite passée comme un détail : « la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir » et devient un défaut, gênant la compréhension. Rousseau semble ne vouloir que des nourritures intellectuelles immédiatement digestes, sans difficulté aucune, mais aussi sans attrait qui dure car le charme d'un texte vient souvent de quelques mots qui résistent ou d'une formule inusitée, désuète, précieuse : « Vous êtes le Phenix des hôtes de ce bois ! ». Qui ne sent, avec un mot d'explication, toute l‘emphase de cette hyperbole bouffonne, mythologique, épique, appliquée à un simple corbeau, oiseau noir très courant à la voix particulièrement cassée et croassante ? Petite école de rhétorique, les fables mettent en scène des paroles efficaces, des discours bien menés, des argumentations habiles. Le discours du Renard, non seulement aura persuadé le Corbeau de sa splendeur (idée en soi saugrenue) mais lui aura aussi montré à quel point il était vaniteux et sans aucune connaissance de soi, sans savoir quelle était sa place sociale, son rang. Dans un autre langage, La Rochefoucauld, contemporain des Fables, posait dans ses Maximes : « louer un prince des qualités qu'il n'a pas, c'est lui dire impunément des injures ». La réflexion morale du XVIIe siècle en son âge classique (1660–1700) met la connaissance de soi et la modestie au cœur des valeurs, sans dénigrer les hautes qualités quand elles sont véritables.