Connu pour l'écriture de pièces immenses ou d'épopées, nn emporte aussi l'assistance par l’ampleur de ses phrases; rythme de sa pensée, alternant habilement les grandes envolées et les formules brèves, les mots, que l'on retient. Ainsi de la première question, montant en intensité en quatre rythmes progressifs, de plus en plus longs, qui retombe sur un mot : « l’ignorance », ainsi mis en valeur. L’art de l’épithète, colorée, vivante, péjorative ou laudative vient peindre sa pensée : « certaines doctrines fatales passent de l'esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau confus des multitudes ». Triple condamnation ! Les accumulations en rafale (ajouts, après virgules, de mots de même nature grammaticale) sont presque toujours en gradation pour « enfoncer le clou », si l'on peut dire, « à attaquer, à mutiler, à ébranler » (mutiler évoque une amputation, image atroce, et ébranler un écroulement). À cette triple menace, Hugo répond par une triple riposte : « de poursuivre, de combattre, de détruire l’ignorance ! ». Les antithèses sont également une des formes de l'amplification : en décrivant d'un côté les mots qui nous rongent (l’ignorance, la misère, la soif des biens matériels) et de l'autre les rêves utopiques d'une société instruite, Hugo étend ou étire sa phrase et construit des jeux de miroirs, des balancements. Ainsi, dans la question-réponse antithétique : « eh bien, comment combattre le développement des tendances matérielles ? Par le développement des tendances intellectuelles ». Ou encore la longue phrase sur le bien-être matériel réservé à quelques hein, « tandis que » (articulation ou connecteur d’opposition) le bien-être intellectuel est accessible à tous. L'ampleur gagne vers la fin, dans l'envolée finale : « il faut, et c'est là la grande mission spéciale du ministère de l'instruction publique, il faut relever l'esprit de l'homme, le tourner vers Dieu, dans la conscience, vers le beau, vers le juste et le vrai, vers le désintéressé et le grand ». Mais ce sont surtout les images qui distinguent le style du poète, comme dans l’analogie poétique bien connue entre la nuit et l’ignorance, les lumières et le savoir. Hugo redonne tout son sens au combat des philosophes du XVIIIème siècle, au deuxième paragraphe : « on pourvoit à l'éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire aussi dans le monde moral et qu'il faut allumer des flambeaux pour l'esprit ! ». Si le début très concret et familier de l'éclairage des villes fonctionne comme une image allégorique du savoir que l'on doit donner (éclairer les esprits), la métaphore est plus poétique avec « la nuit… dans le monde moral », ici le mal ou l’oubli du bien. Mais c'est la métaphore finale qui rayonne avec le plus d'éclat : « allumer des flambeaux pour l'esprit ! » où l'idée de lumière et de flamme est redoublée (allumer + flambeaux) et où ces torches allumées évoquent l'idée de fête collective, de festivité, de joie.